Xavier Carrère Sculpture du verre Magescq salle d’exposition, atelier.
Sculptures de verre, bois, métal, béton. Kintsugi . Xavier Carrère accueille les visiteurs de sa nouvelle exposition dans un éparpillement de pastilles de verre coloré, une prolifération végétale, des motifs floraux stylisés, dont seuls demeurent le mouvement et la couleur. Passé le jardin, dans la vaste salle d’exposition les sculptures de format et de structures différentes associent au verre le bois, le métal et le béton qui, entre équilibre et déséquilibre cherchent à s’harmoniser. Aux sculptures se mêlent des tables de grandes dimensions , des paravents , car le plasticien aime se faire designer, artisan et aménageur d’espace sans exclusive. Diversité des formats, variété des matériaux, les sculptures de Xavier Carrère font le pari de créer des objets unifiés composés d’éléments disparates, des objets esthétiques qui auraient une identité forte à défaut d’avoir un sens unique. Et pourtant le verre est une matière qui semble se suffire à elle-même: sa transparence, son pouvoir évocatoire, exercent une fascination presque supérieure à celle du bois, de la pierre, les métaux. Alors, pourquoi associer au verre des matériaux qui au fond risquent de le desservir ? ce paradoxe révèle peutêtre une sensibilité. On peut observer que les oeuvres de Xavier Carrère sont structurées par la notion de confrontation, de tension, d’opposition : les nombreuses pièces sur le thème du lien donnent à voir et à éprouver l’étreinte de deux verres de couleurs et de textures différentes. Ces pièces sont d’autant plus expressives qu’elles ne sont pas figuratives; elles évoquent moins une unité idéale et paisible qu’un désir passionnel de fusion. Elles sont fortement symboliques. Mais le verre devait rencontrer le bois le métal et le béton après avoir été associé au seul verre. Mais composer un objet esthétique hybride c’est créer une confrontation, un petit théâtre où les matériaux s’incorporent en harmonisant leurs différences. Différences mises en scène, contrastes soulignésopacité et transparence- textures opposées, volumes ouverts, déchirés ou préservant leur intégrité. C’est que la variété des matériaux implique leur mise en tension, une dramaturgie s’en dégage dont les objets portent la trace. Peut-être sont-ils issus de conflits anciens, d’affrontements tendres ou cruels; avec le temps leur forme se serait stabilisées dans un équilibre détérioré, puis immobilisées, après l’éclatement ou la déchirure. Cependant, les sculptures ne sont pas des objets univoques et le verre, le bois comme le métal ou le béton gardent entière leur puissance évocatrice qui dans un objet esthétique déploient tout le champ de leur liberté. Ici les associations d’idées se développent sans s’exclure. Le bois nous rapproche de la nature extérieure, le béton de la pierre, le métal d’une réalité plus secrète mais avec le verre nous sommes proches de l’eau, de l’espace, et dans sa transparence le regard délicieusement se déplace. Sa matière porte la mémoire de sa métamorphose- silice et potasse, oxydes métalliques colorés-1200 degrés- travaillée pour donner de fascinants effets d’espace, de matière organique ou stellaire. Le verre évoque aussi le temps quand il nous fait dériver dans la contemplation vers « la rêverie matérielle » selon l’heureuse expression de Gaston Bachelard. Dans sont petit théâtre de la confrontation dramatique mais heureuse qui n’est pas sans évoquer à la fois le sport de conquête du ballon et les arts martiaux, Xavier Carrère à rencontré la tradition japonaise du KINTSUGI selon laquelle un objet brisé échappe à sa fin si l’on accepte de le perdre dans sa forme première pour le retrouver transformé en soulignant de colle dorée les lignes de brisure. C’est la voie de la métamorphose.Une renaissance. Cette pratique est l’expression d’un art de vivre qui rencontre en occident la notion de résilience. Séduit par cet état d’esprit nuancé, qui accorde les contraires, l’affirmation de soi et l’abandon, Xavier Carrère interprète le Kintsugi dans un ensemble d’oeuvres nouvelles. On peut supposer que cette pratique offre une issue imprévue a ce qui le préoccupe et qui s’exprime dans son travail sous une forme plus ou moins figurative: l’attraction, l’équilibre, le déséquilibre, l’étreinte, le désir, la célébration de la puissance sauvage et du danger dans la figure du taureau qui rôde dans la salle. Son vocabulaire plastique va s’enrichir de nouvelles propositions. L’attention du visiteur de l’exposition « kintsugi by Carrère » à Magescq est assez vite attirée par un signe doré de très grand format en forme d’éclair se détachant sur fond noir. Ligne de cassure à l’origine elle est devenue un signe graphique libre dont le tracé erratique est à la fois éclair et chemin; l’un nous incite à l’insouciance de la promenade, l’autre nous invite à défier les dangers de l’orage. Qu’il soit décliné sur un vaste panneau noir, sur une table de banquet ou en statuette minimaliste, ce signe qui s’est évadé de la cicatrice initiale est devenu la trace jubilante d’un élan créateur. Aux formes monolithiques vont s’ajouter les volumes issues de la dislocation, et les fragments, les éclats vont évoquer la destruction dans tous ses états. Cassure, fracture, déséquilibre, c’est la face sombre de la réalité que le KINTSUGI fait entrer dans l’oeuvre. En développant un nouveau registre formel Xavier Carrère trouve une voie pour évoquer la tragédie et l’assumer. Les tracés et les surfaces dorées restaurent les corps éclatés en les embellissant et en les transcendant comme s’ils portaient la trace du fond d’or des mosaïques byzantines. La création de Xavier Carrère est en mouvement; de la gaité du monde naturel exprimé dans les évocations végétales qui accueillent le visiteur à l’intériorité des monolithes de verre et de matériaux assemblés, jusqu’aux formes éclatées assumant leur éclatement par le KINTSUGI c’est un théâtre intime qui nous est donné à voir.
michel Lacoste Azur le 21 avril 2022